L'intelligence artificielle (IA) va permettre de nouvelles approches pour la création de nouveaux ingrédients et de nouvelles méthodes d'innovation.
Pas une semaine ne passe sans que la presse ne se fasse l’écho de l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans différents domaines, industriels, artistiques… Elle arrive aussi dans l’agroalimentaire, notamment dans les arômes. Robertet a ainsi annoncé le 11 juin, le développement d’un nouvel arôme, de vanille, pour yaourt façonné à l’aide de l’IA, pour un grand groupe agroalimentaire. Pour y parvenir, le fournisseur a sollicité les services d’Artefact, société française spécialisée dans cette technologie. Ensemble, ils ont donné naissance au projet NaturIA : une IA générative pour la parfumerie et les arômes.
Moteur de recherche
En combinant les phases de tests réalisées par les parfumeurs et aromaticiens avec les algorithmes d’IA générative avancés, NaturIA permet d’accélérer le processus créatif. Elle traduit des briefs de plusieurs images en descriptions détaillées et évocatrices, puis en critères de recherche pour retrouver des formules existantes ou suggérer de nouvelles associations de parfums et de saveurs. Cela offre aux créateurs un moteur de recherche intelligent et sécurisé ainsi qu’un tableau de bord inspirant pour les accompagner dans le développement de nouveaux concepts, parfums ou arômes.
“Le projet NaturIA illustre comment l’IA peut stimuler notre créativité par l’innovation technologique, tout en respectant la liberté et le savoir-faire de nos créateurs. Cela marque un tournant dans notre industrie.”commente Jérôme Bruhat
Identification plus précise
De son côté, Givaudan avait annoncé en février, une collaboration avec Nuritas, une société irlandaise, créée en 2014, spécialisée dans la découverte de peptides basée sur l’IA.
” En exploitant des milliards de séquences, nous pouvons identifier de nouveaux peptides bioactifs et créer des ingrédients dix fois plus rapidement et 600 fois plus précisément que les méthodes traditionnelles. “souligne Nora Khaldi
“Cette collaboration représente une avancée significative pour répondre aux attentes des consommateurs du monde entier, en constante évolution. Notre collaboration avec Nuritas va contribuer à faire progresser l’innovation en matière d’ingrédients à court terme.”estime Fabio Campanile, responsable mondial des sciences et technologies du goût et du bien-être chez Givaudan.
Givaudan utilise déjà l’IA dans ses recherches. L’une d’elles, Advanced tools for modelling (ATOM) permet d’optimiser la formulation des aliments et des arômes, comme la réduction de sel dans les collations au fromage.
“Trouver le mélange parfait d’ingrédients nécessiterait normalement de nombreux essais, mais, grâce à l’IA, l’équipe a pu identifier rapidement la recette idéale, avec 33 % de sel en moins mais tout aussi savoureuse.”indique Fabio Campanile.
Interaction avec les clients
Lionel Hitchen travaille également avec l’IA. Le fournisseur a lancé le 1er février son concept FutureFlavours, pour répondre aux exigences de la génération Z et des Millennials en termes de saveurs. Le service marketing de l’entreprise a mené des recherches sur leurs préférences gustatives. Sur la base des résultats obtenus, il a développé dix recettes. Ensuite, Lionel Hitchen a utilisé la technologie de l’IA pour créer des graphismes. La société a également établi une présence dans le Metaverse via la plateforme Spatial, lui permettant de présenter ses produits et d’interagir avec les clients dans un environnement numérique.
“Nous pensons que l’avenir de l’industrie agroalimentaire réside dans la création de nouvelles expériences sensorielles grâce à l’utilisation de technologies de pointe.”commente Anne Wiziack, responsable marketing chez Lionel Hitchen.
Ce n’est donc qu’un début…
Accélérer la conception
L’IA va permettre demain de gagner du temps dans le processus de conception. Le programme européen Plan P, lancé en 2021, a ainsi cherché à savoir comment l’IA pouvait accélérer la mise au point de nouveaux produits de type émulsions et mousses, intégrant des protéines végétales dans leur recette.
“L’objectif était de déterminer si la texture d’une sauce ou d’une émulsion pouvait être jugée acceptable par le consommateur sur la base d’analyses spectrales. L’avantage de cette méthode est d’être rapide, peu invasive et applicable au cours du procédé.”explique Jonathan Thévenot, chef de projets R&D à l’Adria, le centre technique coordinateur du programme Plan P.
Il s’agit d’un projet sur trois ans et demi, dans le cadre du programme Horizon 2020, avec le soutien de la Région Bretagne. Outre l’Adria, il compte trois autres partenaires : le département de sciences des aliments de l’université de Copenhague (Danemark), l’entreprise rennaise Diafir qui développe des outils combinant des capteurs et des algorithmes d’IA et la société grecque SCiO P.C., spécialisée dans l’analyse de données.
“Nos collègues danois et rennais, chargés de définir quelle analyse spectrale utiliser, ont retenu la NIR (near infrarouge).”indique Jonathan Thévenot.
Au total 26 ingrédients de protéines végétales ont été testés, provenant de différentes sources : pois, soja, haricot rouge, féverole… Pour limiter les essais, ils ont été répartis dans différents clusters en fonction des résultats de leurs analyses physico-chimiques et un ingrédient a été choisi comme représentant pour chaque cluster.
Chacun de ces représentants a ensuite été intégré dans quatre types d’émulsions/mousses : mayonnaise, sauce salade, mousse au chocolat, mousse de foie. Pour ces quatre matrices, les chercheurs ont fait varier les recettes et certains paramètres de production comme le temps d’hydratation des poudres, la vitesse d’agitation ou le temps d’émulsion.
Toutes les matrices expérimentales ont été caractérisées d’un point de vue physico-chimiques et leurs valeurs ont été comparées à celles de sauces ou mousses du commerce, que l’on peut considérer comme acceptables par le consommateur. Des analyses spectrales ont également été réalisées au cours du process.
Modèle prédictif
“C’est à ce stade qu’intervient la société grecque SCiO P.C. Elle a créé un modèle de réseau de neurones pour établir un modèle prédictif, qui fasse le lien entre l’acceptabilité des sauces par les consommateurs et les analyses spectrales au cours du process.”poursuit Jonathan Thévenot.
Des tests de validation du modèle prédictif ont permis d’établir une adéquation à 80 %. « Cela constitue une preuve de concept », souligne le chef de projets R&D à l’Adria. À terme, un tel modèle prédictif pourrait aussi servir à tester des nouveaux ingrédients et voir desquels ils se rapprochent. Cela permettrait de prédire leur futur comportement en situation. D’autres possibilités offertes par l’IA restent certainement encore à découvrir.